Depuis fin septembre 2021, les sages-femmes françaises sont mobilisées. Elles traversent une crise sans précédent mais leur mal-être est profond et ancien. La profession est actuellement en danger. A travers elle, c’est en réalité la santé et les droits des femmes qui sont menacés.
Comme toutes les catégories de soignants, les sages-femmes ont pris part activement à la crise sanitaire. Oubliées du Ségur de la Santé, elles sont désabusées par les récentes annonces ministérielles.
Anne Hidalgo leur a apporté son soutien à l’occasion de leur rassemblement à Paris le 7 octobre 2021. Les sages-femmes sont essentielles pour la santé des femmes et pour nos enfants. Leurs demandes sont justes et nous concernent toutes et tous.
Selon le Code de la Santé Publique, la profession de sage-femme fait partie des professions médicales, comme les médecins et les dentistes. 5 années d’études permettent d’en obtenir le diplôme (PACES et 4 années au sein d’une école de sages-femmes). 3 modes d’exercice sont envisageables : hospitalier, libéral ou territorial (PMI).
Aux yeux du grand public, la sage-femme est associée à son rôle autour de la naissance (suivi de grossesse, préparation à la naissance, suivi du travail et accouchement, suivi de la mère et de l’enfant après la naissance, rééducation périnéale). De multiples facettes du métier restent méconnues : suivi gynécologique tout au long de la vie des femmes, prescription de contraception, pratique de l’IVG médicamenteuse, vaccination des femmes et entourage du nouveau-né, participation aux activités de PMA. Sous réserve d’obtention de diplômes complémentaires, la sage-femme peut pratiquer des actes d’acupuncture, d’ostéopathie. Elle a un rôle essentiel de proximité dans la prévention et l’information des femmes. Elle contribue au repérage des situations de violences faites aux femmes.
En résumé, la sage-femme, dotée d’un pouvoir de diagnostic et de prescription, exerce une profession médicale à compétences définies. Elle gère la physiologie, ce qui est « normal ». Quand elle dépiste une pathologie, elle oriente la patiente vers les médecins gynécologues obstétriciens.
La crise sanitaire actuelle a révélé au grand jour les insuffisances de notre système de santé et leur impact sur les patients, notamment les femmes.
Les décrets de périnatalité qui définissent entre autres le nombre de professionnels de santé dans les salles de naissances datent de 1998 et n’ont pas été révisés depuis. Professionnels et usagers de la périnatalité partagent le même constat : manque de personnel, manque de temps pour accompagner les patientes, manque de prise en compte des attentes des femmes et des couples, épuisement des professionnels. Certaines sages-femmes avouent se sentir « maltraitantes » vis à vis des patientes. 40% des sages-femmes hospitalières sont en épuisement professionnel. Lors de sa visioconférence avec les sages-femmes le 16 septembre, Olivier Véran n’a même pas évoqué les effectifs dans les maternités.
Depuis des décennies, les sages-femmes revendiquent leur statut médical tel qu’il est acté dans le Code de la Santé Publique. Dans les faits, elles ont un statut entre-deux (entre le paramédical et médical) qui ne les satisfait pas. Malgré la volonté de nombreuses d’entre elles d’intégrer le statut de Praticien Hospitalier et le constat de l’IGAS, dans son rapport de septembre 2021, sur la nécessité d’une évolution statutaire, le ministre n’a pas répondu favorablement à cette problématique.
L’essence de la profession de sage-femme est d’accompagner la grossesse, quelle qu’en soit l’issue et d’assurer le suivi gynécologique de prévention. Les sages-femmes agissent au quotidien en autonomie pour préserver la physiologie, éviter la surmédicalisation afin de garantir aux femmes leurs droits fondamentaux et permettre leur émancipation. Malheureusement, la réalité est différente. Le rapport IGAS concernant la profession affirme une autorité médicale, intellectuelle et morale des gynécologues sur les sages-femmes. Les compétences des sages-femmes sont méconnues du grand public faute d’information et leur autonomie étouffée par le patriarcat et corporatisme des médecins.
La reconnaissance d’une profession ne peut se faire sans une rémunération à la hauteur de ses compétences et de ses responsabilités. Actuellement, une sage-femme en début de carrière gagne 2085€ brut par mois. L’indemnité de travail de nuit s’élève à 1,07€ brut par heure. De nombreux jeunes diplômés enchaînent les CDD pendant plusieurs années avant d’être titularisés. Alors que le rapport IGAS préconise une revalorisation du salaire des sages-femmes hospitalières à hauteur de 175 points d’indice, le ministre des Solidarités et de la Santé propose une prime de 100€ et une augmentation de 22 points d’indice !
Dans le secteur libéral, les sages-femmes contestent la différence de cotation d’un même acte selon qu’il soit effectué par une sage-femme ou un médecin …
La formation de sages-femmes a elle aussi besoin d’être repensée. Enseignants et étudiants déplorent la densité des enseignements et des stages. La solidité des acquis en fin de cursus en est affectée. 7 étudiants sur 10 présentent des symptômes de dépression.
La France accuse un retard dans le développement de la recherche en maïeutique. Au sein de l’hôpital, il n’existe pas d’aménagement de statut ni de temps dédié à la recherche pour les sages-femmes souhaitant s’investir. Il y a peu de perspective de carrières universitaires pour les sages-femmes ni de filière ni de financement. La possession d’un diplôme universitaire obtenu à l’issu de la formation initiale n’est pas valorisée dans les grilles de la fonction publique, ce qui est dissuasif.
Le « plus beau métier » du monde n’attire plus.
Sans reconnaissance, sans valorisation et avec un exercice dénaturé, les sages-femmes sont de plus en plus nombreuses à quitter les maternités et fuir la profession.
Malgré les alertes données par le Conseil National de l’Ordre des Sages-femmes, les chefs de service des maternités, malgré la forte mobilisation du 7 octobre dernier, le gouvernement reste impassible. A l’heure actuelle, les sages-femmes restent mobilisées et continuent de réclamer une révision de leurs conditions de pratique dans tous les modes d’exercices, une revalorisation des salaires, une révision des conditions de formation.
Il est plus que jamais temps de donner aux sages-femmes un statut et un positionnement conforme à leur rôle et d’accorder enfin à la périnatalité et à la santé des femmes des moyens suffisants si l’émancipation des femmes et l’égalité homme-femme est réellement une cause sociétale.
Hélène Mainguet, militante de la section et sage-femme